« En Supply Chain, on a plus que jamais besoin de vision globale » Luciano de Carvalho, directeur S&OP chez Kingfisher
Luciano de Carvalho est directeur S&OP – Sales & Operations Planning – pour la branche française du groupe Kingfisher, où sa mission consiste à déployer au sein des enseignes Castorama et Brico Dépôt un processus S&OP dont l’objectif est de briser les silos pour accroître la performance opérationnelle. Cet expert des supply chain retail, passé notamment chez Carrefour, vient de suivre le parcours CSCP – Certified Supply Chain Professional – chez MGCM Academy. Il nous parle de son métier, des challenges auxquels sont confrontées les supply chain de distribution et de la nécessité de se former pour mieux appréhender un environnement en profonde évolution.
27 juin 2023
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– Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours et de vos challenges chez Kingfisher France ?
J’ai toujours évolué dans l’univers de la distribution autour d’activités de prévisionniste, en particulier chez Carrefour, enseigne qui avait besoin de se structurer autour de processus de prévisions & planifications robustes, avec l’objectif d’être en meilleure maîtrise des stocks et donc du cashflow. En grande distribution où les marges sont faibles, on cherche des fortes rotations. Les « forecast » et les négociations fournisseurs sont ainsi deux axes clés de la performance.
Chez Carrefour j’ai également été à la tête de la partie e-commerce alimentaire à travers la création de plusieurs plateformes e-commerce dédiées à la préparation, avec des KPIs classiques de taux de service. Je couvrais alors la partie prévisions et approvisionnements.
J’ai ensuite rejoint le groupe Kingfisher pour y déployer un processus S&OP qui n’existait pas.
Basé à Lille, au cœur d’un riche écosystème de retailers – on pense bien sûr à la galaxie Mulliez – j’ai remarqué que les acteurs étaient globalement avancés sur la partie forecasting mais beaucoup moins sur la partie S&OP, alors que le besoin est énorme.
Ceci s’explique par le fait que le S&OP est historiquement associé à l’industrie où il adresse une problématique assez simple : comment occuper quasiment à 100% les chaînes de production sans être en surstock ou en rupture. Il y a en effet cette contrainte physique, côté industriel, qui a amené les acteurs à mettre autour de la table les commerciaux et la partie usine.
L’idée est donc de reprendre ce même principe d’échange pour la distribution, avec la partie commerciale / produits et la partie stocks. On parle d’ailleurs de SIOP – Sales, Inventory and Operations Planning – avec le volet « inventory » qui est devenu un sujet critique à part entière. Côté retail on est extrêmement focus sur les valeurs de stocks, les couvertures de stocks pour la partie cashflow, avec une problématique d’outils de production beaucoup moins présente, bien que nous ayons des entrepôts où on stocke et une partie préparation de commande pour les magasins, avec de la planification à la clé.
Pour ce chantier – désormais quasiment terminé – nous avons été accompagnés par un cabinet de conseil car il y avait un important volet d’acculturation à mener en amont. Il fallait aussi adapter le processus puisque le « O » de Operations doit être vu différemment dans le retail où on vend des produits finis fabriqués par des usines qui ne sont pas détenues en propre, contrairement à du S&OP classique en industrie où on veut essentiellement maintenir l’outil industriel. En distribution, un pool d’industriels partout dans le monde travaille pour nous, mais aussi pour d’autres. Dans une approche de supply chain end-to-end, cela pose de gros enjeux.
– L’essor du S&OP, notamment dans la distribution, c’est l’illustration d’un phénomène qu’on décrit un peu partout : la supply chain s’impose progressivement comme une fonction stratégique de l’entreprise, au carrefour de toutes les transformations ?
Clairement. Cela illustre une volonté très forte de briser les silos. Mais c’est un sujet qui reste porté par la direction Supply Chain – plus rarement par la finance – du fait de cette transversalité et que la Supply Chain soutient les Opérations. Les commerciaux portent certes une ambition chiffrée, mais dès qu’on arrive à la mise en œuvre opérationnelle, c’est la Supply Chain et les magasins qui sont en première ligne.
Or il y a une urgence, côté Opérations, à disposer des éléments pour pouvoir s’organiser. Il y a une volonté d’adopter un discours commun, de partager des risques, de s’aligner sur des objectifs, de synthétiser les décisions majeures pour le codir. Voilà ce qui justifie le déploiement du processus S&OP, véritable relai de transmission permettant aux CEO de savoir ce qu’il se passe concrètement au cœur des activités opérationnelles de l’entreprise.
Les réunions S&OP, selon le process S&OP classique et académique, ont lieu tous les mois, elles réunissent les commerciaux, l’équipe Demand Planner – spécialistes de la prévision qui épaulent les commerciaux – les opérations (supply chain et appros) le CEO et la finance. Soit une dizaine de personnes environ.
– On parle beaucoup du contexte VUCA, en particulier depuis les dernières crises sanitaires. Quelles autres évolutions majeures avez-vous observées dans ce contexte particulier ?
Je suis arrivé chez Kingfisher alors que la crise sanitaire éclatait, en plein confinement, donc j’ai peu connu « le monde d’avant » chez Kingfisher. Mais je constate que quand on discute avec nos industriels qui ont été frappés de plein fouet, on réalise à quel point le sujet des forecast est devenu essentiel, incontournable. Aujourd’hui, c’est la base ! Cela soulève d’ailleurs beaucoup de questions dans les organisations, comme qui porte un tel projet ? avec quelle(s) solution(s) ? quel ROI ? etc.
Avec le contexte d’inflation les ventes sont impactées – dans la distribution les croissances de chiffre d’affaires actuelles sont largement portées par l’augmentation des prix – et les volumes baissent, les ménages faisant des arbitrages de pouvoir d’achat qui impactent durement certains produits… Tout cela complexifie la prévision tout en la rendant plus que jamais stratégique.
– Vous suivez actuellement chez MGCM Academy le parcours CSCP – Certified Supply Chain Professional. Qu’est-ce qui vous a amené à suivre cette formation ?
C’est un choix personnel car j’ai ressenti le besoin, sans doute influencé par le contexte actuel, d’avoir une meilleure vision globale de la supply chain. Ce qu’offre précisément le parcours CSCP. Se former est par ailleurs quelque chose d’assez naturel, puisque je garde un excellent souvenir de mes années d’études et que j’adore apprendre.
Quant à la formation CSCP le programme est dense, hyper intéressant, avec beaucoup de nouveaux domaines pour moi qui n’ai pas évolué dans un environnement industriel, je pense notamment aux volets finance, logistique et manufacturing. C’est une mise à jour des connaissances très bienvenue, favorisée par la qualité des supports et la plateforme APICS (la formation CSCP est un parcours certifié par l’ASCM-APICS), le format de la formation – nous sommes cinq stagiaires – qui favorise les échanges, notamment avec le formateur qui nous fait bénéficier de sa solide expérience.